Que d'animation dans les rues de
Paris dans les premières années du
XVIII
e
siècle ! Au milieu des cris des petits métiers, des appels
joyeux et des disputes, aux carrefours et sur les places, les musiciens
ambulants jouent et chantent des airs à la mode. Chacun les connaît,
chacun les répète, airs d'opéras, de vaudevilles plus ou moins altérés,
ils sont sur toutes les lèvres. Même les Jésuites s'y intéressent ; ils
les reprennent et les transforment en "cantiques spirituels" en y
mettant de nouvelles paroles, et éditent de nombreux recueils qu'ils
diffusent dans tout le Royaume à l'usage des prêtres.
Françoise BOIS POTEUR a eu
l'occasion d'avoir entre les mains un de ces ouvrages destiné aux
Missions qui tentaient alors de restaurer l'orthodoxie catholique en
Provence. Elle a pensé que c'était une chance de retrouver ainsi notés
des airs qui ont pu être joués par les vielleurs ambulants de l'époque,
et en a choisi quelques-uns qu'elle a librement arrangés en deux
petites suites pour vielle seule. C'est ainsi que deux siècles et demi
plus tard, ces "Timbres" retrouvent leur caractère profane...
On sait que sous le règne de
Louis XV, la vielle a ses entrées à Versailles où la Musette de Cour
est aussi très prisée. Nicolas CHEDEVILLE, hautbois de la Chambre du
Roi, se plaît à jouer et à composer sur cet instrument. Parmi les
œuvres qu'il destina à la vielle et à la Musette un recueil se révèle
particulièrement intéressant. Il s'agit de musique de circonstance.
réédition
de 1997
Il composa ces Amusements
lorsqu'il suivit le Prince de Conti dans le Palatinat à l'occasion des
campagnes militaires de la Succession de Pologne (1733-34-35) et chaque
mouvement porte le nom d'un lieu où s'est déroulée une bataille. Dans
sa dédicace il mentionne "l'intention (qu'il a) eue d'y exprimer les
images guerrières dont (il a) été frappé" et cette musique n'a rien à
voir avec les "Bergeries" qu'on associe régulièrement à l'idée de la
vielle au XVIIIe
siècle.
Au moment où meurt François
Couperin (1733) et où Rameau écrit Hippolyte et Aricie
1734 et Les
Indes Galantes 1735, Nicolas CHEDEVILLE semble vouloir
prouver que ses
instruments sont aussi nobles que les autres et les pousse au maximum
de leurs possibilités. On notera que te prélude intitulé Le
Retour de
Mars est une ouverture à la française typique. Cependant
cette
musique est harmoniquement assez conventionnelle et les modulations
novatrices chères à RAMEAU en sont absentes, pourtant elle offre
l'intérêt de mettre parfaitement en valeur les qualités propres de la
vielle à roue et surtout ses capacités évocatrices (Les
Houzarts ; La
Clausen). Ajoutons que le dialogue vielle et clavecin, qui
tient ici
la basse chiffrée, est particulièrement bien construit et qu'il recrée
avec bonheur l'ambiance des batailles.
Bien différente est la Ve
Suite de Charles BATON. Ces pièces destinées à deux instruments de
dessus furent composées par ce célèbre professeur de vielle à l'usage
d'une de ses élèves. On y trouve comme à l'accoutumée des menuets et
des rigaudons sans doute très appréciés par les Nobles adeptes de la
vielle.
Ces œuvres nous laissent
supposer que la virtuosité atteinte sur la vielle vers 1735 fut grande
: une foule d'ornementations spécifiques générées par l'instrument s'y
pressent. Les mélomanes férus de vielle sauront d'ailleurs remarquer
que les meilleurs vielleurs d'aujourd'hui qui pratiquent un tout autre
répertoire (souvent populaire et traditionnel au moins d'inspiration)
en cherchant à développer une virtuosité ont retrouvé des
ornementations tout à fait voisines.
Françoise
BOIS POTEUR -
Nicole PISTONO